L’an passé, elle faisait déjà partie du groupe de chorale. Il était impossible de ne pas la remarquer. C’était une fille qui chantait avec ses tripes. Le chant, elle aimait ça, ça crevait les yeux ! Sa voix était bien posée. Souvent, elle fermait les paupières, imprégnée de la profondeur des notes et son timbre de voix, éclatant, arrivait à couvrir toutes les autres voix tant il était reconnaissable par sa tonalité juste, sa mélodie et sa profondeur.
Elle avait pris cette habitude de se balancer au rythme des chansons qu’elle interprétait. Passant d’un pied sur l’autre, remuant à la fois la tête, les épaules et les hanches, elle dénotait un peu dans ce groupe de choristes qui ne comptaient que des membres droits comme la justice, bouche ouverte, un bras légèrement tendu vers l’avant, main repliée soutenant le recueil de chants. Nul document n’entravait ses mouvements à elle. Elle avait toujours les mains libres. Ses chansons, elle les avait toutes dans la tête, dans le cœur et dans la poitrine.
Elle devait chanter du matin au soir pour connaître ainsi le répertoire complet et toute sa musicalité. De temps en temps toutefois, en concert, elle jetait un léger coup d’œil sur le livret de sa complice la plus proche pour se rassurer mais ce n’était que pure forme.
Lorsqu’elle rouvrait les yeux après avoir laissé les notes envahir tout son être pour sortir et pénétrer le nôtre, son regard se posait directement sur le maître de cœur où elle retournait puiser la force de son bonheur de chanter. Elle s'oxygénait une nouvelle fois auprès de la maestria du virtuose. Là était sa source, dans cette communion avec ce maître qui faisait danser les notes du bout de sa baguette par une gestique divine. Sa passion à elle de faire sortir de sa gorge les sons les plus purs, les plus harmonieux et de les tendre vers ce maître qui les faisait vibrer était comparable à un chant amoureux de l'un vers l'autre.
Mais ce soir, la choriste n’avait pas chanté comme l’an passé. Il faut dire que de ses tripes, entre les deux concerts annuels était sortie la chair de sa chair et ce petit bout de chou âgé d'un an à peine se trouvait dans la salle. La fibre musicale n’avait pas encore fait son chemin entre la mère et la fille, c’était bien trop tôt. Aussi, la petite fille était-elle agitée et bruyante. La fibre maternelle en revanche, fonctionnait sans répit. Cela se voyait dans les yeux inquiets de la génitrice, dans le son de sa voix, dans sa gestuelle qui n’était pas totalement en accord avec la musique. Pourtant, le répertoire de chants était bon, clair, varié, mélodieux. Une violoniste était venue accompagner le contrebassiste, les guitares et le tam-tam. L’harmonie était là qui transcendait la voix des chanteuses, toutes de rose vêtues. Mais dans cet ensemble chaleureux de complétude, d’entente et de complicité, la jeune femme n’arrivait pas à chanter ! On put lire sur ses lèvres, cette même remarque qu'elle se dit à voix basse avec désespérance ! Ses yeux durant toute la soirée, étaient allés de sa fille assise au 2ème rang, qui n’arrêtait pas de gigoter au chef de cœur auprès de qui elle essayait de se cramponner pour ne pas prendre de retard sur la mélodie. Son timbre de voix, toujours joli était cependant plus fluet, un brin éteint, retenu, comme si elle voulait en quelque sorte se préserver pour apaiser son enfant si le caprice qui était en train de naître dans l’esprit du bambin venait à s’amplifier.
L’assistance, fut-elle au grand complet, n’avait d’importance ni pour la mère ni pour la fille.
Le lien si fort qui attache la mère à son enfant est capable de la détourner de tout et même de ce que furent ses plus grandes passions avant la naissance de son petit être.
10 avril 2010
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